Depuis qu'elle l'avait vu au loin, Siam n'avait eu qu'une idée en tête : y aller et se rendre compte par elle-même. Depuis son arrivée au camp Jupiter, et depuis la visite express que leur avait fait faire les romains. La colline aux temples l'intriguait. Et puis, surtout, elle avait besoin de voir par elle-même l'autel réservé au culte de sa mère, Athéna, plus connue chez les romains sous le nom de Minerve. Ses demi-frères et soeurs, et elle-même avaient interloqué tous les romains en leur apprenant qu'ils étaient enfants d'Athéna, réputée déesse-vierge. Il est vrai que le concept était assez dur à comprendre, cela l'avait été pour Siam au début, et pour son père aussi qui n'avait jamais compris comment il avait pu enfanter sans passer à l'acte. Bref, visiblement, les romains avaient été choqué d'apprendre qu'en mode grec, Athéna avait enfanté. Sauf que techniquement, elle n'avait pas non plus rompu son voeu de chasteté, puisqu'elle enfantait par la pensée. Evidemment, c'était le coeur du débat, et ça pourrait paraître complètement farfelu. Mais ce n'était pas si étonnant quand on savait qu'Athéna elle-même était sortie toute armée du crâne de son père Zeus. Et puis même, quand on était un demi-dieu, il y avait bien plus farfelu, non ? Bref, Siam était un peu vexée d'être vue comme une abomination de la nature, par des demi-dieux en plus. Et puis, cela ne s'arrangea pas quand elle comprit qu'au camp Jupiter, Athéna n'était qu'une déesse mineure très peu valorisée. Pire, les romains adulaient Arès, le dieu de la guerre. Apparemment, il possédait en son honneur un temple énorme, presque aussi grand que celui de Zeus, Jupiter.

Siam s'en rendit compte par elle-même en arrivant enfin à la colline aux temples, en début d'après-midi. Elle resta un moment devant le temple de Mars, légèrement sonnée. Chez elle, au camp Jupiter, Arès était le dieu bagarreur, violent. Il n'était pas vraiment apprécié, plutôt craint. Athéna, elle, était beaucoup plus admirée. Ce revirement de situation lui paraissait tellement étrange, tellement... impossible. Le pire fut quand elle se retrouva devant l'autel de sa mère. C'était à peine une simple dalle, l'air rongé par le temps, par la mousse. Il n'y avait rien autour, rien. Siam le reconnut à la chouette gravée dans la pierre, légèrement abîmée à certains endroits. C'était étrange de se retrouver face à ça, à cette chose miteuse qui servait d'autel. Siam eut une pensée pour sa mère, et se demanda ce que ça lui faisait, à elle, d'être aussi maltraitée par les romains. Siam se demanda également si elle l'observait, de loin. Si elle voyait tout ce qu'elle avait fait, depuis qu'elle avait su qui elle était réellement. Elle se demanda si sa mère était fière d'elle, et si c'était le cas, pourquoi elle n'avait jamais pris le temps de venir la voir, ou même de n'envoyer rien qu'un signe. Une preuve, mise à part la reconnaissance faite via un hologramme, des années plus tôt. Siam avait besoin d'aide, et pensait que seule sa mère pourrait lui apporter le réconfort nécessaire pour relever la tête. Siam ne pleurait jamais, mais abattue par tant de chagrin accumulé, elle se laissa tomber à genou devant le "temple" de Minerve. Tout d'un coup, elle se sentit extrêmement vulnérable. Elle sentit tout le poids qui se trouvait sur ses épaules pesait d'un coup, et toute la peine et la colère d'avoir perdu la colonie revinrent, comme pour la foudroyer. A ce moment, Siam fut heureuse que la colline aux temples fut déserte. Enfin...

On ne sait pas exactement ce que tu fais là. Toi, la fille de Bellone que tout le monde et donc, que personne ne connaît. Toi, cette petite blonde qui n'a jamais réellement eu le profil d'une romaine, d'une vraie guerrière, d'une dure, d'une méchante. Tes cheveux toujours emmêlés et tes pieds nus, tes vêtements, tes sourires absents, tes éternels excès d'affection, tes jolis mots, tes mélodies et tes rires. "Sunny". Rien que ce nom colle pas, collera jamais. Tu n'es romaine qu'à cause de tes gènes, pas de ton coeur. Si on l'avait suivi, tu ne serais pas là. Si tu avais eu le choix, ce ne serait pas autour de demi-dieux que tu vivrais mais sans doute dans un lieu où la nature est reine, où les oiseaux ne doivent pas se cacher pour vivre et bons dieux, où tu pourrais enfin cesser de porter une épée sans que personne ne te le reproche. Sans que tu sois sans cesse accablé de cette violence qui te frustre et ironiquement, t'effraie. Depuis quand t'es-tu battu pour la dernière fois ? Si on ne te savait pas profondément tarée, on te prendrait presque pour une lâche honey.

Alors tu penses bien que la colline des temples est bien le dernier endroit où l'on pensait te voir. Les premiers rayons du soleil caresse déjà ta peau alors que tu gravis l'amas de terre sans réellement en avoir envie. Tu comprends pas vraiment ce qui t'arrive, tu préfères ne pas savoir. T'as appris que suivre ton instinct était pas une mauvaise idée. Alors te voilà, une expression niaise tellement familière collée sur tes traits que s'en est même plus choquant. Tu souris à la terre, à l'air, aux temples immenses devant toi, moins au minuscule qui est censé représenter celui de ta génitrice. Tu lui adresses tout de même un sourire factice, une grimace amère ; tes lèvres sont un peu trop pincées, ta mâchoire un peu trop serrée. Tu te détournes déjà ; étonnement, tu n'as plus envie de rester. Le noeud qu'il s'est formé dans ton ventre t'indique que c'est sans doute la dernière fois que tu vois ces géants de pierre intentionnellement.

Puis tu tombes pratiquement sur elle. Sur cet éclat blond dans la pâleur de la matinée, dans cette absence humaine que tu chéries tant. Tes yeux détaillent cette silhouette recroquevillée, comme si elle trouvait en cet instant un repos cruel près de la pierre de Minerve. Tu t'approches, évidemment. Comment faire autrement, hein ? La chaleur humaine t'attire malgré toi. Tu remarques que tu ne la connais pas, que tu ne connais pas ce visage et donc, qu'elle n'est sans doute pas d'ici. Tu t'en fous, totalement. Ce qui compte, c'est pourquoi ces yeux clairs étaient si brillants sur ce visage désespéré. « J'ai toujours pensé que les enfants de la déesse de la sagesse avait de la chance. Si tu es doté d'un minimum de jugeote, tu peux t'en sortir dans la vie. Tu ne dépends de personne. » Tu t'es assise naturellement. Tu adresses une mine enjouée à la jeune inconnue et tu replies tes jambes contre toi.

« J'ai toujours pensé que les enfants de la déesse de la sagesse avait de la chance. Si tu es doté d'un minimum de jugeote, tu peux t'en sortir dans la vie. Tu ne dépends de personne. » Siam sursauta presque, n'ayant pas entendu arriver la fille. Elle avait été si absorbée par la misère du moment qu'elle vivait, que rien d'autre n'avait eu d'importance. La fille aurait très bien pu rester là pendant des heures, derrière Siam, sans que celle-ci ne s'en rende compte. La fille d'Athéna redressa la tête et tenta de prendre un air farouche, pour cacher toute la tristesse et la faiblesse qu'elle ressentait à ce moment là. Elle lança un regard étrange à l'inconnue, la décrypta de haut en bas. D'une première impression, Siam décida de cataloguer cette fille comme étrange, l'air totalement à côté de la plaque. Ses cheveux étaient emmêlés (même si, du côté de Siam, ce n'était pas réellement mieux) et les pieds nus (ça, c'était vraiment bizarre, non ?). Elle avait quand même une épée, mais c'est ça que Siam trouva le plus étrange, au final. Qu'une fille ressemblant à une hippie des années soixante (du moins, l'idée que Siam avait des hippies) puisse porter à sa ceinture une épée en or impérial. Finalement, Siam se rendit compte qu'elle était absorbée par ses observations, et qu'elle était restée silencieuse longtemps alors que la fille lui avait parlé. L'inconnue s'était assis en tailleur près d'elle, et semblait attendre une réponse avec des yeux brillants, l'air très enjouée. Ce n'était vraiment pas normal. « Je ne dépends de personne », lâcha Siam subitement. Ce fut la seule chose qu'elle trouva à répondre, et cela la fit froncer les sourcils. Siam aurait préféré que cette fille ne soit pas là, qu'elle ne se soit jamais assise devant elle avec ce sourire enjoué qui faisait tant de mal à Siam. Pourquoi ? Parce que la fille puait l'insouciance à dix kilomètres à la ronde. Siam, elle, n'avait jamais été insouciante et parfois, elle aurait vraiment aimé l'être. Mais elle ne le pouvait pas, parce que c'était comme ça. Parce qu'elle était la fille de la déesse de la sagesse, parce qu'elle avait combattu des monstres mythologiques, parce qu'elle avait été nommé chef de son bungalow, parce que sa colonie avait été détruite et que maintenant, elle se retrouvait en quelque sorte chef des demi-dieux grecs. Ça lui plaisait, elle ne pouvait pas le nier. Mais parfois, elle avait des moments de faiblesse. Elle n'était plus la Siam forte et dure que tout le monde connaissait. Parfois, le poids était trop lourd à porter et elle s'isolait pour relâcher la pression à sa manière. Généralement, elle restait prostrée dans un coin, lâchant parfois quelques larmes salées (jamais trop). Jamais personne ne l'avait vu dans ces états là, et jamais elle ne voudrait que quelqu'un la voit ainsi. Siam avait une réputation à tenir, une réputation à laquelle elle s'accrochait désespérément. Elle y tenait, à être la Siam que tout le monde voyait. A être le stéréotype de la fille d'Athéna. Oui, elle y tenait vraiment.

« Et j'ai de la jugeote, beaucoup de jugeote », finit-elle par lâcher. Après un moment de silence, ça semblait carrément bizarre. Et ça sonna carrément bizarre aux oreilles de Siam, lorsque les mots franchirent ses lèvres. Pourquoi avait-elle eu besoin de dire ça à cette fille ? Cela la poussa irrémédiablement à lui demander, presque agressive mais pas trop : « Tu es qui, au juste ». S'il n'y avait pas eu d'épées, Siam aurait pu prendre la fille pour une sorte de dryade, une nymphe des bois. Elle imaginait très bien la fille sortir d'un arbre en souriant, puis courir se cacher dans un autre et rire aux éclats. Oui, Siam imaginait parfaitement la scène. Mais la fille avait une épée, et il n'y avait pas de nymphes au camp Jupiter.