Tu marches vers le Lac, tes ailes blanches déployées, prête à t'envoler. Mais même si tu le peux, tu gardes les pieds sur terre. Trop, sûrement. Tu as un T-shirt pourpre du Camp Romain que tu as essayé de repeindre en orange il y a peu. Il n'y a que quelques coups de pinceau. Mais c'est déjà bien. Tu n'es pas sûre de pouvoir reproduire le modèle du symbole du camp, le Pégase noir, mais tu vas déjà écrire le nom qu'a un jour porté votre Colonie, avant d'être détruite. Tu chantes. Avec ta voix un peu rauque bien sûr. Et pas trop fort, pour pas attirer l'attention. Pour entrer, tu as dû laisser à Terminus tes armes. Les paroles fusent entrent tes lèvres. Tu connais la chanson par coeur. Ca te fait du bien de chanter. Parce qu'avec tes mains, tu bats la mesure sur tes cuisses. Ca t'empêche de trembler. Tu marches vers le Lac, parce que c'est le seul endroit que tu aimes, même s'il y a un peu de monde. Parce qu'il y avait un Lac aussi à la Colonie. Il n'y avait que là que tu te sentais presque (j'ai bien dit presque) en paix avec toi même.

Quelque chose en toi te dit d'être un peu plus à l'écoute des autres, que ce n'est pas parce que toi tu n'as pas eu le droit à la chance, que les autres non plus. La conscience peut-être. Ou la culpabilité de ce que tu as fait quand tu as appris la mort de ton frère. Je ne saurais le dire. Et toi non plus. Tu ne sais même pas quoi penser de ce conseil qui a des accents d'ordre. Tu passas une main dans tes cheveux blonds pour terminer de défaire la tresse que tu as fait avant de dormir. La lumière matinale du soleil les rend aussi clairs que les blés d'été. Tu ne sais pas encore quoi faire de ta journée. Tu n'as pas faim. Tu as rarement faim, d'ailleurs. Si seulement, ils te laissaient sortir en ville... Pas longtemps ! Et tu ferais ça là-bas ! Tu n'emmènerais aucune substance ! Mais tu savais que ce n'était même pas la peine de demander. On ne te laisserait jamais sortir. Il allait falloir apprendre à te libérer de cette fée. Finalement, la destruction du camp aurait peut-être des aspects bénéfiques à long terme. Tu allais économiser ton argent, rallonger ton espérance de vie ! Mais pour le moment, tu avais l'impression que ça allait te tuer, et encore plus vite que si tu te droguais. Il te faudra du temps. Diminuer peu à peu les doses. Il allait surtout te falloir de la volonté, et pour ça, tu n'en avais pas.

Il y avait sûrement quelqu'un. Mais tu t'en fichais. Tu étiras tes ailes l'une après l'autre, avec une aisance dérangeante. Tu avais fini par apprendre à maîtriser ton pouvoir. A faire de cette moitié oiseau la tienne. Tut tournas la tête et vis la personne. Tu ne savais lire dans son regard. Peut-être de la peur, ou de la méfiance ou même de la haine. Qu'importe. Elle était là, et toi aussi, alors si elle ne t'aimait pas, elle n'avait qu'à dégager. Parce que toi, tu ne le feras sûrement pas.

"-Tu veux ma photo ?"

Agressive, comme toujours. Voilà qui explique le comportement des gens à ton égard. Il y a encore de la bonté en toi, enfouie sous des tonnes et des tonnes de rancoeur. Mais il y en a encore. Et tu pourrais la faire ressurgir très facilement si tu avais quelqu'un qui te montrait que tu n'es pas seule au monde. Mais c'est un cercle vicieux. Il fallait que pour que quelqu'un te le dise, que tu sois sympa avec lui. Et c'est là que ça marchait pas. Tu n'aimais pas les gens parce que tu étais persuadée qu'eux non plus.