my insides all turn to ash
a black wind took them away from sightA WOLF IS BORN : Thunder naquit un matin de février. Il faisait froid. Il neigeait, même. Mademoiselle Hamm – puisqu'elle n'était pas mariée – était allongée dans son lit, les mains tremblantes et le visage ruisselant de sueur. Elle n'avait pas voulu d'anesthésie, et elle avait senti chaque douleur irradiant de son utérus, tandis que le petit être, semblant vouloir rester bien au chaud, s'extirpait tant bien que mal de son cocon de chair, déjà robuste pour un être à peine né. En voyant ce petit corps ensanglanté pousser son premier cri, puissant et furieux, les sages femmes poussèrent des exclamations de stupeur. En effet, petit Thunder avait des proportions fantastiques. Il était rare de voir nouveau né si grand et si costaud. On demanda à la jeune femme, si frêle qu'il semblait impossible qu'un tel être soit sorti d'elle, le nom de l'enfant. Elle n'y avait pas réfléchi.
A vrai dire, elle avait vécu sa grossesse comme un événement totalement inattendu. Elle n'avait rien prévu, rien envisagé. Le petit était arrivé, comme par magie, et comme une jeune enfant, elle ne s'était pas projetée, vivant sa grossesse au jour le jour. Elle n'avait rien acheté, elle n'avait même pas pensé au futur prénom de ce petit être. Elle ne savait même pas qui était le père. Enfin … si, elle savait. Elle le connaissait, elle savait son nom, elle savait ses origines mais au final, ils n'avaient pas tant parlé que ça. Il n'était pas vraiment beau, à l'inverse de la jeune femme. Il était brun, balafré, un peu difforme. Mais il avait quelque chose qui lui avait immédiatement plu. Un mélange de fragilité et de brutalité … une fragilité qu'elle semblait être la seule à voir. Il irradiait quelque chose de divin qui avait chatouillé son épiderme. Il n'en avait pas fallu beaucoup plus pour que cet homme vole son cœur. Elle s'était laissée aller au jeu. Elle n'avait pas une grande expérience de l'amour – elle était si jeune ! Et au bout de quelques mois, après quelques visites par ci par là, l'irrémédiable était arrivé: Olympe – puisque c'était son prénom – était enceinte. Elle eut droit à de nombreuses explications. Vulcain, Venus, tous ces noms résonnèrent dans son esprit avec une consonance étrangère, comme si le jeune brun lui parlait une langue inconnue. Elle, une arrière petite fille de Venus, la déesse romaine de la beauté ?! En réalité, il n'y avait qu'elle pour en douter. Elle avait sans aucun doute une ascendance divine: ses cheveux d'un blond vénitien, qui ondulaient doucement autour de son visage et retombaient en cascade dans son dos, en attestaient, tout autant que les traits harmonieux de son visage et les douces courbes de son corps. Depuis toujours, elle avait attiré l'attention, sans jamais soupçonner ses origines. Mais ce n'était pas ça qui l'avait le plus surprise.
Olympe pris son bébé entre ses bras et regarda cette tête déjà chevelue et brune. Il ne tenait pas d'elle, c'était certain. Elle retrouvait déjà chez lui tous les traits de son géniteur, avec sa beauté en plus. Elle sourit au nouveau né, et souffla son nom à son oreille. Le nourrisson poussa un étrange gazouillement. Alors elle se tourna vers la sage femme et souffla à nouveau: «
Thunder. Thunder Alyzé... »
Le jeune Thunder grandit tranquillement. Il n'avait pas de famille, excepté sa mère, mais il était entouré d'amour. Un amour maladroit, mal géré, tantôt excessif et tantôt tout en retenue, mais de l'amour tout de même. Il n'eut pas beaucoup de jouets durant son enfance, et il ne connu par son père, mais le jeune enfant n'en avait que faire. Il était plein d'une énergie presque inhumaine, ne tenant jamais en place, toujours à quémander l'attention de sa mère, aussitôt rentrée du travail. Mais la jeune femme, elle, ne voyait pas les choses du même œil. Maintenant qu'elle avait accouché, maintenant qu'elle avait son fils, Vulcain ne répondait plus à l'appel. Elle ne le revit plus jamais. Qu'avait-elle donc fait de mal ? Etait-il lâche, comme n'importe quel homme, ou était donc passé la suprématie du bel homme, sa prestance ? Olympe avait beau aimer son fils, elle ne cessait de voir en lui les yeux de celui qu'elle avait aimé. Ses cheveux qui avaient poussé, frisaient de manière désordonné autour de son petit crâne et dans ses yeux brillait une intelligence pleine de malice, une
flamme sublime. Elle se consolait en se disant qu'il avait l'ovale de son visage, la pulpe de ses lèvres, la droiture de son nez.
Elle entreprit des recherches mais qui pourrait donc se targuer de trouver la trace d'un dieu ? Elle s'enfonçait dans sa folie, ne comprenant pas le pourquoi du comment. N'était-elle pas assez bien pour lui, était-ce donc cela ? Elle n'attendait pas de lui qu'il soit sans cesse présent. Elle savait qu'ils n'appartenaient pas au même monde. Mais elle aurait aimé que son fils ai un minimum de reconnaissance, elle aurait aimé avoir un minimum d'amour. Elle ne demandait pas grand chose: une visite de temps en temps aurait suffit. Elle se mit peu à peu à détester cet homme qui avait volé son cœur, qui le gardait avec lui, à tout jamais. Elle ne pourrait plus aimer, elle en était persuadée. Elle l'avait trop aimé, et elle continuait, de manière compulsive, impulsive. Tout cet amour, à défaut de mourir par absence de celui qui aurait dû le recevoir, retournait s'enrouler autour du petit être qui était le résultat de ce qu'elle avait considéré comme de l'amour.
THAT'S THE THING ABOUT PAIN ... IT DEMANDS TO BE FELT : Thunder tenait définitivement de son père. Il ne pouvait s'empêcher de toucher à tout et n'importe quoi, de tout démonter et de tout remonter - même si cette deuxième opération n'était pas toujours réussie, contrairement à la première - et de tout vouloir comprendre. Les mécanismes étaient ce qui l'intéressait le plus. Ces petits jeux représentaient aussi une manière pour Thunder de s'éloigner un peu de sa mère. Il l'aimait plus que tout, mais elle déglinguait. Elle ne cessait de répéter qu'elle était descendante de Vénus, qu'elle méritait mieux, qu'elle était ce qu'il pouvait avoir de mieux. Thunder ne savait pas de quoi elle voulait parler mais il voyait qu'elle se sentait mal et que ces pensées la hantaient. Il essayait de l'aider mais il était impuissant à rendre de la joie de vivre à sa mère. Alors il s'enfonçait dans ses jeux pour se changer les idées. Le jeune garçon était assez renfermé, il parlait peu, ou du moins, il ne parlait pas pour ne rien dire. Il était plein de malice, mais pas la même malice que les enfants de son âge. Il apprenait à être mature alors même que les autres s'amusaient aux playmobiles ou aux legos.
Le jeune garçon dû entrer à l'école. A la crèche déjà, où l'emmenait sa mère pendant qu'elle travaillait, il ne se mélangeait pas. Il jouait de son côté, seul. Les jeux des autres enfants ne l'intéressaient pas, les rires des autres enfants ne l'intéressaient pas non plus. Ses jeux à lui étaient le seul moyen pour lui de rester calme, lui qui était atteint d'hyperactivité, comme tout autre demi dieu. A la maternelle et à l'école primaire, ce fut pire encore. Etant également dyslexique, il avait naturellement d'énormes difficultés en classe, et déjà il prenait du retard sur les autres, ce qui ne faisait qu'accentuer le fossé qu'il y avait entre eux. Lui, personne ne venait le chercher, après les cours, une chocolatine à la main. Il rentrait seul et retrouvait au foyer une femme qui perdait peu à peu de sa superbe, comme une fleur en manque de lumière qui se serait peu à peu fanée. Sa lumière, c'était l'amour. Elle n'attirait plus le regard de personne, ou du moins, pas le regard de ceux dont elle aurait voulu attirer l'attention. Il n'y avait plus que son fils pour s'intéresser à elle et elle en souffrait terriblement. En conséquence, elle se laissait aller à l'attrait de compagnies peu recommandables. Des relations éphémères, qui lui redonnaient quelques espoirs durant quelques secondes, mais qui laissaient en elle un vide d'autant plus grand le jour suivant, au matin, lorsqu'elle se rendait compte que l'homme n'était plus là et que les draps qu'il avait négligemment repoussés étaient froids. Olympe était seule, plus qu'elle ne l'avait jamais été. Du haut de ses vingt deux ans, elle devait assumer son foyer, sans aide aucune de la part de ses parents - elle avait toujours été orpheline, avait été élevée parmi d'autres enfants, généralement lugubres et en quête d'amour, et n'avait jamais réussi à se trouver une famille d'accueil. Elle était partie à l'aube de ses dix huit ans et avait entrepris de construire sa vie. Petits boulots après petits boulots, elle avait fini par obtenir son propre appartement, un petit trois pièces sous les combles d'un vieil immeuble. Elle habitait encore ce tout petit pied à terre. Il était clair que cela ne suffisait pas pour une mère et son fils - Thunder devait dormir avec elle, car elle n'avait pas la place ni l'argent pour un second lit - mais elle n'avait pas vraiment le choix. Elle devait se contenter de cette médiocrité. Elle s'en serait accommodée sans mal, si Vulcain ne l'avait pas ainsi reniée, sans même un mot. Mais sa rancœur, sa tristesse, semblait déteindre sur les murs, et elle n'y voyait plus que la poussière, les raccords miteux entre les différents pans de tapisserie. Ses échecs semblaient se graver dans les tissus muraux, en filigrane.
Thunder, lui, aimait leur petit appartement. Oh, ce n'était pas luxueux, certes, mais il aimait se blottir dans les bras de sa mère, le soir venu. Sous les combles, l'isolation était plus que mauvaise, et généralement, ils tremblaient de froid avant de s'endormir. Ou du moins, Olympe avait l'habitude de grelotter, frêle et fine comme elle l'était, mais son fils avait la faculté étrange de dégager une tiédeur agréable. Ainsi, tous deux, serrés l'un contre l'autre, y trouvaient leur compte. Ainsi logé dans les bras de la seule personne qu'il aimait, Thunder aurait pu jurer que tout allait pour le mieux, dans le meilleur des mondes, s'il ne savait pas que dans quelques heures à peine, il devrait se réveiller pour calmer les tremblements de sa mère, prise dans un de ses nombreux cauchemar. Entre la mère et le fils, la tendance s'inversait petit à petit au cours des années. Olympe s'infantilisait, fragile, comme une poupée de porcelaine, et Thunder gagnait une étrange assurance au fil des années. Il était bien plus robuste que n'importe quel garçon de son âge, et même les traits de son visage, graves, sérieux, semblaient lui donner quelques années de plus qu'il n'en avait en réalité.
Peut-être cette carrure venait-elle de son comportement à l'école. Face aux moqueries répétées de ses camarades sur sa dyslexie et ses différents troubles, ou encore face aux insultes des parents et des enfants sur sa mère qui était de notoriété publique de mœurs légère, Thunder ne savait répondre qu'avec la force. Il n'avait pas hésité à frapper plusieurs de ses voisins de tables, et ses coups avaient une puissance non négligeable. Plusieurs garçons s'en étaient tirés avec un simple bleu ou un œil au beurre noir, mais quelques uns avaient aussi écopé d'un passage à l'hôpital pour diverses fractures. Une fois lancée, le petit homme ne s'arrêtait plus. Les divers quolibets qu'il recevait sur lui ne l'atteignaient pas plus que cela, et c'était dans ces cas là qu'il se contentait d'une légère rebuffade. C'était lorsque les noms d'oiseaux s'adressaient à sa mère que son sang se mettait à bouillonner. Une année, même, un arbre, dans la cour de l'école, avait fini en cendre, carbonisé - un des surveillant avait juré que le feu de son briquet lui avait échappé, déclaration aussi incongrue que ridicule qui en avait fait sourire plus d'un. C'était un chêne rigoureux, qu'un feu normal aurait mis plusieurs minutes à entamer. Personne ne compris jamais ce qu'il était advenu de ce monument du règne végétal. Personne, sauf Olympe. Elle savait de quoi son fils était capable, avant même que lui même ne le sache. Son fils était enfant du feu, un brasier aux mèches d'ébènes, un loup aux yeux de lave. Elle savait toute la violence qu'il avait en lui, déchiré par les injustices, par cet amour qu'il lui donnait mais qu'elle n'arrivait pas à lui rendre, déchiré par ce rôle d'homme qu'il devait tenir à la maison. Elle savait aussi qu'il volait, souvent, parce qu'il savait que le soir venu, il n'y aurait peut-être pas assez à manger pour lui et elle. Au fond, Thunder était un gros nounours: il avait un cœur fondant comme un caramel. Il était plus protecteur et loyal que tous les hommes qu'elle avait croisé dans sa courte vie - et elle en avait croisé un paquet. Mais la seule chance pour une proie de survivre parmi les prédateur est de devenir à son tour un prédateur, plus prudent, plus intelligent, plus rapide, plus puissante que les autres. Œil pour œil, dent pour dent, elle avait conscience que Thunder répondait à sa cette règle. Olympe n'était certainement pas la meilleure des mères, mais elle savait observer, noter, comprendre. Si elle avait pu observer qu'il aurait suffit d'une note d'affection de sa part pour que le jeune garçon soit comblé, le reste de cette histoire n'aurait pas eu de réalité ...
DEATH BY FIRE IS THE PUREST DEATH : Thunder avait huit ans. En un an, la santé d'Olympe avait dégringolé. Elle était alitée dans son lit, passant ses journées à regarder la télévision, ne vivant que des aides et des larcins de son fils qui s’efforçait de ramener à manger. Il aurait bien pu aller demander de l'aide à quelqu'un, mais il connaissait la procédure: on aurait diagnostiqué sa mère comme incapable de s'occuper de lui, et il aurait été placé en famille d'accueil. Et ça, il ne l'acceptait pas. C'était lui avec elle, ou rien du tout. Il se sentait responsable de sa mère, autant qu'un grand frère aurait pu l'être de sa petite sœur. Il savait que cette situation n'était pas normale, mais avait-il vraiment le choix ?
Plus renfermé que jamais, Thunder, bien que s'occupant du mieux possible de sa mère, avait parfois tendance à établir une certaine distance entre lui et elle. Il craignait ses retours à la maison, le soir, car il savait qu'il y avait quatre vingt pour cent de chance qu'Olympe fasse une crise de folie, d'angoisse, devant ses yeux. Les cris de sa mère lui vrillaient les tympans, lui donnaient envie de pleurer et agressaient son corps et son esprit. Il fuyait de plus en plus souvent, la journée, même les week-end, prétextant devoir aller chercher à manger. Mais en réalité, il traînait dans les rues, comme un fantôme. Sans but, il regardait les autres enfants rigoler avec leurs parents et son cœur se serrait violemment dans sa poitrine. Des fois, il rêvait d'aller voir sa mère, et de lui dire: "Tu vois ce que tu as fait, Maman ?! Regarde ! Ton fils unique est forcé de voler, dans la rue, tandis que toi, tu es là, couchée ! A te morfondre ! N'as-tu donc aucune fierté ?! Vivre à la botte de son fils de huit ans, n'est-ce pas ridicule comme situation ?? A ta place j'aurais honte ! Et d'ailleurs, j'ai honte de toi, Maman, quand les autres garçons parlent de toi ! Je t'aime, Maman, mais j'aimerais qu'on soit une famille comme les autres, pas ... pas un lambeau de famille ! Est-ce que je t'ai fait quelque chose pour mériter ça ?" Mais il ne le disait pas. Ça n'aurait servi à rien, et il n'avait pas envie de gaspiller sa colère et sa salive pour rien. Il avait besoin de ses forces pour autre chose.
Un jour, tard le soir, après avoir réussi à voler quelques fruits dans un supermarché, Thunder fini par rentrer à leur appartement. Il ferma la porte derrière lui avec précaution, s'attendant à entendre le bruit lourd du corps de sa mère qui essayait de se tirer du lit pour venir déposer un baiser distrait sur sa tempe. Mais aucun bruit dans l'appartement, comme si aucune présence n'était là pour l'accueillir. Thunder héla sa mère, sans vraiment s'inquiéter. Elle devait dormir - cela arrivait, parfois, elle était prise d'une soudaine fatigue et elle dormait durant plusieurs heures, avant de se réveiller affamée. Il déposa ses 'emplettes' sur la table et entreprit de nettoyer quelque peu. L'état de leur appartement laissait à désirer mais il n'avait que rarement le cœur à s'en occuper. Mais en attendant que sa mère se réveille, eh bien, il n'avait rien d'autre à faire, alors autant s'atteler à la tâche. Cependant, plusieurs heures après, Olympe n'étant toujours pas levée, il décida de venir la réveiller en douceur, comme il en avait l'habitude. Il toqua à la porte pudiquement: pas de réponse. Finalement, il n'eut d'autre choix que de tourner la poignée qui grinça entre ses doigts ...
Le corps pendait, sans vie. Les pieds de sa mère étaient à quelques centimètres du sol, et son cou était tordu, comme si une fatigue trop grande l'avait obligée à poser sa tête sur sa propre épaule. La corde était accrochée au luminaire, au plafond; elle semblait sur le point de casser. Incapable d'effectuer le moindre mouvement, immobile et tendu face à ce spectacle macabre, Thunder eut le réflexe idiot de lever les yeux vers le visage livide de sa mère. Ses yeux étaient fermés, et ne faisaient que renforcer l'impression qu'au fond, la jeune femme n'était qu'endormie. La pâleur mortelle de ses traits et de son cou lui donnaient une espèce de beauté spectrale. Thunder avait la sensation qu'elle allait se décrocher d'un instant à l'autre et lui sourire avec douceur, comme s'il ne s'agissait que d'une blague. Les larmes piquaient ses yeux, tandis qu'il décrochait avec précaution le corps sans vie de la belle descendante de Vénus. Il la borda un long moment, pleurant sans bruit, serrant ce corps qui commençait à se refroidir contre lui, pour lui insuffler un peu de sa chaleur, comme lorsqu'ils étaient endormis tous les deux, l'un contre l'autre, dans cet appartement mal isolé. Il finit par aller chercher une écharpe, pour camoufler les marques de strangulation qui courraient autour de cette gorge délicate et d'un ivoire envoûtant. Il déposa un baiser sur chacune des paupières closes de la jeune femme avant de la hisser dans son lit, et de la glisser sous les draps, comme la belle aux bois dormants. Il savait qu'il n'allait pas pouvoir rester longtemps ici. Il aurait voulu enterrer sa mère, mais que pouvait-il faire, lui, un enfant de huit ans ? Et il devait avant tout échapper au services de sécurité qui ne manqueraient pas de le refourguer à un orphelinat ou pire, une famille d'accueil. Il prit avec lui tout l'argent qu'il pouvait emporter, les fruits qu'il avait volé, quelques affaires rudimentaires, et fourra tout ça dans son ancien sac d'école qu'il enfila sur son dos.
Dans les rues de New York, tout semblait normal. Les voitures roulaient, les taxis hurlaient, les piétons marchaient, les affiches publicitaires clignotaient, le tout dans un vacarme assourdissant. Thunder essuya les dernières larmes qui glissaient sur ses joues et barricada son cœur. Il ne pleurerait plus. Jamais.
Il ne savait pas où aller. Sans sa mère, il n'avait plus de repère. Il pouvait bien errer ainsi, mais il ne tiendrait pas longtemps. Il n'était pas le seul dans les rues, et il n'était pas le plus malfaisant. Il ne tenait pas à finir entre les mains d'un pervers ou de toute autre personne mal intentionnée. Il se dit qu'il lui fallait tout d'abord rester dans les rues les plus peuplées. Son sac sur l'épaule, le petit garçon, qui se sentait soudain bien frêle, face à ce monde qui ne semblait pas prêt à l'accueillir. Cependant il n'eut pas à errer longtemps. Au bout de quelques mètres, il sentit une présence qui le suivait. Un sans abri ? Un policier ? Non, ce n'était rien de tout ça. Il sentait la puissance qui émanait de cette sensation diffuse. Il se retournait fréquemment, traqué, mais à chaque fois, rien. Le sang affluait dans ses muscles, dans son cerveau, ses poings se contractaient. Il était jeune, mais il restait avant tout un demi dieu, et même s'il l'ignorait, son corps, lui, réagissait à des réflexes inhumains.
Quelques rues plus tard, il s'arrêta. Cette ruelle là était moins animée que les autres. Il savait que s'isoler ainsi représentait une opportunité pour son ennemi de s'attaquer à lui sans trop attirer les regards, il savait que c'était quasiment suicidaire. Mais il n'avait jamais été capable de fuir le danger, quel qu'il soit. Une bravoure innée dans son cœur, dans sa chair, un truc en plus qui faisait de lui un combattant dans l'âme. Il avait peur. Très peur. Comme tout être humain, il n'était pas faillible, et comme tout petit garçon, beaucoup de choses l'effrayaient. C'était cela qui faisait de lui quelqu'un de courageux: malgré ses peurs, il ne reculait jamais.
Et en effet, lorsqu'il se retourna, une étrange silhouette se profilait dans le contre jour. Une silhouette décharnée mais surtout ailée. Il n'avait aucune idée de la nature de cette apparition: en réalité, il s'agissait d'une harpie. Les jambes du garçon se mirent à trembler furieusement, tout comme ses mains. Ce n'était pas possible. Ce genre de choses n'existait que dans les livres qu'il ne pouvait pas déchiffrer. Pourtant, la masse de chair qui lui fonçait dessus semblait bien réelle. Dans un mouvement maladroit il se jeta sur le côté pour échapper au monstre - un réflexe dont lui même ne se serait pas cru capable. Il se mit à courir le long de la ruelle pour retrouver la civilisation, là où il pourrait se cacher, là où il pourrait échapper à cette créature. Malheureusement, la créature ne recula pas devant la foule qui se pressait sur les trottoirs. Ce que ne savait pas Thunder, c'était que la brume permettait de modifier la vision des humains. Eux voyaient une femme armée jusqu'aux dents, un peu rabougrie et surtout effrayante. Les gens se mirent à hurler tandis que la harpie se lançait à nouveau vers le petit garçon. Il poussa un cri avant de se jeter dans un magasin. La harpie se prit la vitrine dans le museau, battant furieusement des ailes à l'entrée, tentant de se frayer un chemin jusqu'à sa proie, geignant violemment. Ses griffes crissaient contre le verre, et le pauvre commerçant qui tenait cette petite épicerie se mit à crier, face à un Thunder totalement paralysé. Que faire ... comment réagir ? Il ne pouvait décemment pas rester ici indéfiniment. La créature ne semblait pas décidée à abandonner et la vitrine finirait par lâcher. Mais il lui fallait une arme, il ne pouvait pas affronter cette chose à main nue.
Thunder parcourut des yeux le magasin à la recherche d'un quelconque objet qui pourrait faire office d'arme. Des fruits, des légumes, des objets de première nécessité, et ... des briquets. Des briquets jetables. Sur une impulsion impérieuse, il empoigna un lot, le défit avec frénésie et prit l'un des briquets entre ses doigts. Sa mère s'en servait pour allumer ses cigarettes, et il avait toujours eu du mal à faire tourner la molette, lorsqu'il arrivait à subtiliser le paquet de cigarette de sa mère. Il actionna la molette. Étrangement, elle roula de manière fluide sous ses doigts, comme s'il avait toujours fait ça à merveille, et le feu sortit, brûlant, du briquet. Il contempla la flamme tremblante quelques instants, immobile. Il sentait quelque chose en lui, quelque chose de chaud, comme si le feu était apparu en lui, au creux de lui. Les flammes se modelaient étrangement devant ses yeux, au gré de sa volonté, prenant des formes incongrues. Le visage de sa mère se dessina durant un court instant, avant de se diriger de manière presque gracieuse vers la vitrine, tout droit sur la harpie qui s'embrasa dans un cri hargneux. Des langues enflammées vinrent lécher les étales de la modeste épicerie, embrasant aussitôt les fruits et légumes. Le feu s'étendit comme un fléau dans tout le commerce avant que le jeune garçon n'ai eu le temps de penser 'ouf'. Il se vit, comme dans un cauchemar au ralentit, sortir de l'épicerie, marchant sur les derniers restes d'une harpie fumante, qui s'évapora finalement, suivit de près par l'épicier. le briquet entre ses doigts brûlait, douloureusement. Les flammes en jaillissaient sans aucun contrôle, au rythme des battements de son cœur. Ce rythme régulier mais effréné donnait à Thunder la sensation que son cœur allait jaillir de sa poitrine, ou au moins faire jaillir de chacun de ses pores un geyser de sang. Ses mains ne tremblaient plus. Il n'avait pas moins peur - il voyait les visages effrayés, les cris dans les rues. Déjà, la sirène d'un camion de pompier résonnait dans la rue. Mais les lames de feu continuaient de tourner autour du jeune homme, qui regardait ce ballet étincelant autour de lui. Les yeux rivés sur ses mains qui tenaient toujours le briquet, il laissa la flamme s'évanouir. Son premier espoir fut de sentir enfin l'air frais sur son visage, signe que les flammes autour de lui avaient fini par disparaître. Mais il n'en était rien: les vagues de chaleur tournaient toujours autour de lui, comme une semi carapace. Les gens autour de lui s'enfuyaient et hurlaient. On le regardait comme un phénomène de foire, certains prenaient des vidéos avec leurs téléphones. On tenta de lui lancer de l'eau, de l'envelopper dans des vêtements pour éteindre le brasier, mais rien n'y faisait, et ainsi touché, secoué, le jeune garçon s'affolait encore plus. Un pompier tenta de l'attraper, et il se mit à courir pour lui échapper, haletant et terrorisé. A son passage, les magasins s'enflammaient, les pompiers qui tentaient de l'intercepter voyaient leurs combinaisons s'enflammer à leur tour. Mu par un instinct de survie presque animal, le jeune garçon se mit à courir jusqu'à s'enfuir de la ville. Obnubilé par la sensation de ses pieds sur le bitume, par le bruit des voitures qu'il esquivait, il ne s'était pas rendu compte que le feu avait cessé de tourner autour de lui. Il ne s'était pas plus rendu compte que des larmes jaillissaient malgré elles de ses yeux, et que l'image de sa mère, endormie sereinement sur son lit de mort, occupait ses pensées, malgré tout le vacarme qu'il avait causé autour de lui.
Après ce qui lui sembla être une dizaine de minutes, Thunder se rendit compte qu'il venait de quitter la ville; Une étrange sensation vibrait au fond de lui. Comme s'il savait où il devait aller, et ce qu'il devait faire. Il marcha très longtemps, des jours durant, vivant comme il l'avait toujours fait, de ses larcins. Il prit clandestinement plusieurs trains, jusqu'en Californie. Pourquoi la Californie ? Il l'ignorait totalement. Il savait simplement qu'il devait y aller, et qu'une chose importante l'y attendait: son destin.
I'LL MAKE A MAN OUT OF YOU : Sonoma Valley, Californie. Après son long périple, Thunder était enfin arrivé à son objectif: Lupa. Cette dernière, comme pour tout demi dieux romain, l'avait appelé. Très impressionné par la déesse louve, le jeune garçon eut tout d'abord du mal à répondre aux exigences de celle qui devait faire de lui un demi dieux digne d'atteindre Rome. L'entraînement était dur, très dur, et le jeune garçon avait beau être plus robuste qu'une majorité des jeunes de son âge, il n'en restait pas moins faible, psychologiquement fragile, et épuisé. Il essuya les échecs, son corps se couvrit de bleus. Ses muscles étaient endoloris, il eut même plusieurs blessures notables. Mais sa colère, elle, ne perdait rien de sa force, au même titre que sa volonté. Il regrettait ces années auprès de sa mère, il regrettait l'odeur de fruits sauvages qui embaumait les cheveux de son adorée Olympe, il regrettait les nuits passées près de cette femme si fragile qui était sa mère, sa sœur, son trésor, et il s'estimait responsable de toutes les pertes qu'il avait subies. Il devait par conséquent les assumer et vivre avec. Se construire une carapace, devenir intouchable, endurcir son cœur. Son pire ennemi, ce n'était pas les monstres, après tout. C'était lui. Il avait peur de ce qu'il avait vu, à New York, il avait peur de ses pouvoirs, il avait peur de sa propre force.
Au fur et à mesure, les bleus se faisaient de moins en moins fréquents. Il apprenait, s'endurcissait. Il avait même une certaine habileté naturelle au combat. Son entraînement passé, Lupa le congédia, avec pour mission de trouver le Camp Jupiter. Une fois arrivé au camp Jupiter, il fut assigné à la cinquième cohorte - il ne connaissait personne dans cet univers, et n'avait donc aucune lettre de recommandation. Il s'avéra que le jeune garçon s'adapta très vite à la vie rangée du camp, à la discipline. Cette dernière lui permettait de ne pas trop penser à tout ce qui se passait dans sa tête. Il devint un combattant reconnu, malgré que la cinquième cohorte soit la risée de tous. Il était bien décidé à mener sa cohorte et à lui rendre sa prestance. En grandissant, Thunder acquis une autorité naturelle et un sens du commandement inné. Il était sévère et austère, mais on le respectait pour sa loyauté, sa justesse et son courage. Il n'était jamais injuste envers qui que ce soit. Nul ne savait grand chose de lui, même ceux qui l'avaient vu grandir au sein du Camp. De jeune garçon effrayé, il était devenu un jeune homme encore farouche mais volontaire, puis un homme robuste. Le genre de personne sur qui on peut s'appuyer. Nul ne savait qu'il contrôlait le feu: il ne s'en servait que très peu, en secret, pour tenter de soumettre les flammes à sa volonté - il avait volé sur le chemin jusqu'au camp, en Californie, un briquet en laque de chine, noir aux finitions en or jaune, dont le clapet se soulevait pour aussitôt libérer une jolie flamme. Jusque là, il n'avait jamais perdu le contrôle mais il savait qu'il suffisait de peu pour que les flammes qui courraient autour de ses doigts deviennent un brasier.
Il finit par être désigné comme centurion de sa cohorte par ses compagnons. C'était comme une évidence pour lui, il n'en tira aucune fierté, juste la responsabilité de redorer au possible le blason de la cinquième cohorte. L'arrivée des grecs représenta sa première réelle surprise au sein du camp. Comme il en avait toujours eu l'habitude, il décida de rester méfiant auprès de ces nouveaux venus. Il n'avait aucun a priori - ce sont des demis dieux comme les autres - mais c'était avant tout des HUMAINS comme les autres: et on ne pouvait pas faire confiance aux humains.
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