you may have to fight a battle more than once to win it

Le champ de Mars. Un de mes endroits favori de la colonie. J'aimais l'agitation qui y régnait, et j'aimais l'idée, rassurante, que dès que je m'y trouvais, je cesserai de ressasser les idées qui m'obsédaient et me tournaient dans la tête comme un ballet répétitif et entêtant. J'aimais entendre le bruit sifflant des javelots dans le vent, les cris de victoire, les grognements de déception. J'aimais bien regarder les légionnaires de la première cohorte s'entraîner, et me dire que je n'avais rien à leur envier. Nous étions du même bord, évidemment, mais ma cohorte - la cinquième - faisait souvent l'objet des moqueries. Nous étions tous, ou presque, des enfants qui étaient arrivés ici par hasard, et en conséquence, sans lettre, sans recommandations. Nous n'étions pas moins vaillants que les autres, simplement moins préparés, et certains de nos légionnaires étaient tout à fait capable de rivaliser avec les meilleurs de la première cohorte. Certes, certains, comme Sunny, n'avaient rien de soldats, mais je ne les aurais laissé tomber pour rien au monde. Quelque soit leur puissance, ils étaient tous précieux à mes yeux. Chacun avait sa place, et même pour tout l'argent de l'univers, je ne les aurais dénigrés. Ils étaient comme une famille pour moi. On me disait souvent que j'avais une âme de grand frère, d'ange gardien. Pudiquement, je répondais que j'avais plutôt à cœur de diriger, honnêtement et avec justesse. Nul sentiment dans mon comportement. Je n'aimais pas que les gens ai cette image de moi, celle de quelqu'un qui aimait répandre de l'amour autour de lui, que j'estimais faible, réductrice, par une pure peur d'inspirer de la moquerie aux autres. J'avais vite appris que révéler ses failles aux mauvaises personnes n'apportait que des soucis.

Ma spatha à la main, m'engageant dans le champ, je cherchais des yeux une silhouette qui commençait à devenir familière. Je recherchais souvent sa compagnie ces derniers temps, c'était devenu comme une habitude. Elle était grecque, pas forcément appréciée, mais après tout, nous étions tous deux de la même veine: deux enfants de dieux qui aimaient se battre, qui aimaient la sensation de nos muscles qui chauffaient, de la sueur qui coulait sur nos peaux, de nos souffles qui s'accéléraient. L'adrénaline que procurait le combat était à mes yeux la meilleure drogue qui puisse exister. Et paradoxalement, tout cela m'apaisait. Je n'avais pas honte de dire que la violence faisait parti de moi. J'aimais ça, c'était vrai. Mais je n'étais pas le seul, ici. Nous avions vécu là dedans. Poppy ne pouvait pas dire le contraire: la sensation que les prochaines minutes de vie de votre adversaire dépendent de vous est grisante, aussi terrible cela puisse-t-il paraître. Scrutant toujours le champ de mars à la recherche de la jeune brune, je finissais par la repérer sans mal un peu plus loin, comme si elle m'attendait, comme si elle savait que j'allais venir réclamer mon dû: cette victoire qu'elle m'avait volé la dernière fois.

Depuis notre premier combat - qui s'était soldé par une défaite pour ma part, ce qui m'avait laissé un arrière goût très désagréable de honte dans la bouche - nous ne cessions de nous confronter l'un à l'autre. Au début, c'était plus de la violence pure qu'autre chose. La rage m'aveuglait: il fallait que je gagne, coûte que coûte. Je n'aimais pas perdre, mais alors pas du tout. Surtout contre une fille. Puis au fur et à mesure, j'avais fini par me calmer et essayer d'analyser plus subtilement les attaques de la jeune femme, ce qui s'était révélé bien plus payant: j'avais fini par obtenir ma revanche. Mais l'histoire ne s'était pas arrêtée là: alertés par le bruit de nos épées, plusieurs demi dieux, grecs comme romains, avaient fini par rappliquer, et le tout avait pris une allure de combat patriotique. Les romains derrière moi, les grecs derrière Poppy. Pour ma part, cela m'était bien égal. Désormais, je prenais du bon temps avec la fille d'Arès. C'était une épéiste formidable, je n'aurais pas pu trouver mieux. Globalement, nous étions à égalité dans les résultats (il y avait 4 à 3 pour l'instant, en sa faveur, mais j'avais bien l'intention de remonter, et fissa).

Je m'approchais d'elle avec un demi sourire aux lèvres - chose rare, de ma part -, et fit tournoyer ma spatha de manière goguenarde et très arrogante - le genre de mouvement qui veut dire « Viens là ma jolie, on va en découdre vite fait bien fait » - ce qui avait une saveur particulièrement ironique de ma part: il s'agissait plus d'une manière de montrer mon enthousiasme. « Tu m'attendais ? » lançais-je avec spontanéité. Quelques regards se tournèrent vers nous, mais je les ignorais sans mal, posant la pointe de mon épée sur le sol, dans une attitude presque pacifiste. « Je te préviens, je n'ai pas l'intention de perdre, aujourd'hui. » rajoutais-je, comme s'il était encore vraiment nécessaire de le préciser. Je devenais presque bavard en présence de la jeune femme, comme si le lien qui nous unissait à travers le combat avait le don de déverrouiller la gangue qui gardait ma langue immobile normalement.